Biographie
EMILE VERHAEREN (1855 - 1916)
Verhaeren est originaire de Sint-Amands, un petit village sur l’Escaut, à la limite de la province d’Anvers. Son père, Henri Verhaeren, avait gagné sa vie à Bruxelles dans le commerce du drap. Sa mère, Adelaïde De Bock, tenait un magasin de textile à Sint-Amands. Comme il est de coutume dans les milieux aisés de l’époque, on parle français à la maison. Le jeune Verhaeren suit les primaires à Sint-Amands. C’est la seule période pendant laquelle il apprend le néerlandais d’une façon active. Il suit les cours de l’école secondaire en français, d’abord à l’Institut Saint-Louis à Bruxelles, puis au Collège Sainte-Barbe à Gand où il fait la connaissance de Georges Rodenbach. Ils deviendront amis pour la vie et développeront tous les deux une carrière littéraire. Après les études secondaires, Verhaeren entame des études de droit à l’Université catholique de Louvain. Il y écrit ses premiers poèmes et il devient un collaborateur d’une revue, La Semaine des Etudiants. Après ses études de droit, Verhaeren s’engage comme stagiaire chez le fameux avocat et juriste bruxellois, Edmond Picard. Bientôt, il abandonne le milieu juridique pour se lancer dans le monde littéraire et journalistique.
Emile Verhaeren est surtout connu comme poète, mais il écrit également des récits, toute une série de critiques d’art et même quelques pièces de théâtre. En 1883, il débute avec Les Flamandes, un recueil inspiré par les scènes exubérantes et parfois voluptueuses de la peinture flamande des 16e et 17e siècles. Après ce début d’inspiration plutôt naturaliste, il continue avec Les Moines (1886), un recueil caractérisé par un certain mysticisme religieux. De 1888 à 1891, Verhaeren publie sa trilogie noire : Les Soirs (1888), Les Débâcles (1888) et Flambeaux noirs (1891). Ces trois recueils – éditions bibliophiles éditées à Bruxelles par Edmond Deman – baignent dans une atmosphère de fin-de-siècle au symbolisme obscur. On y trouve plusieurs poèmes où dominent la mélancolie et les remords. Ce sont les années pendant lesquelles Verhaeren, l’énervé permanent, souffre de neurasthénie. Comme critique d’art, il soutient les nouvelles tendances artistiques de son temps. Ainsi, il défend le courant symboliste et néo-impressionniste et peut être considéré comme un des découvreurs de Fernand Khnopff et de James Ensor. Ensemble avec Edmond Picard et Octave Maus, il constitue le noyau rédactionnel de la revue L’Art moderne dans les années 1883-1899. Il entretient alors aussi des liens amicaux avec des artistes comme Théo Van Rysselberghe, Dario de Regoyos, Willy Schlobach, James Ensor, Fernand Khnopff, Paul Signac, Maximilien Luce et William Degouve de Nuncques. Sur le plan littéraire, on peut mentionner les noms d’André Gide, Stéphane Mallarmé, Francis Vielé-Griffin, Camille Lemonnier, Maurice Maeterlinck, Georges Eekhoud et Albert Mockel.
Pendant de longues années, Verhaeren est resté un célibataire se dévouant exclusivement à sa carrière d’écrivain. Toutefois, fin 1889, à Bornem, il fait la connaissance d’une jeune artiste liégeoise, Marthe Massin (1860-1931). C’est le coup de foudre et, en août 1891, ils se marient à Bruxelles. Emile et Marthe Verhaeren resteront ensemble pendant toute leur vie, mais ils n’auront pas d’enfants. On prétend que c’est sous l’influence bénéfique de Marthe que la poésie de Verhaeren perdra son caractère sombre et hermétique. En 1893, Verhaeren entame une trilogie sociale avec la publication des Campagnes hallucinées (1893), des Villes tentaculaires (1895) et d’une pièce de théâtre Les Aubes (1898). Dans ces recueils, Verhaeren évoque le déclin de la campagne traditionnelle et l’avancée incessante de la grande ville. Les Aubes présente l’utopie sociale et la force d’un mouvement de masse. Verhaeren a sympathisé sa vie durant avec le mouvement socialiste ; il nourrissait également des sympathies pour l’idée anarchiste. Le recueil Les Villages illusoires (1895), où figure le célèbre poème Le Passeur d’eau, ne fait pas partie de la trilogie sociale, mais relève tout de même des mêmes préoccupations. Fin 1896, Verhaeren surprend le monde littéraire avec la publication d’un recueil de poèmes d’amour, dédié à Marthe : Les Heures claires.
Fin 1898, Emile Verhaeren quitte la capitale bruxelloise pour s’établir à Paris, à cette époque le centre du monde artistique et littéraire. Peu de temps après, il déménage à Saint-Cloud, non loin de Paris. Pourtant, le poète ne coupera jamais ses liens avec la Belgique : à Woluwe, il réside régulièrement dans la maison de l’artiste Constant Montald et à Roisin, dans Le Haut Pays du Hainaut, il occupe une petite ferme dans les environs du Caillou-qui-Bique. Ce départ pour Paris imprime à sa carrière littéraire un élan nouveau. Après la publication des Visages de la vie (1899), il s’affirme comme un poète vitaliste avec la publication de plusieurs recueils : Les Forces tumultueuses (1902), La Multiple splendeur (1906), Les Rythmes souverains (1910), Les Blés mouvants (1912) et l’œuvre posthume, Les Flammes hautes (1917). En même temps, il commence la publication de Toute la Flandre, une série de cinq recueils qu’on peut considérer comme un éloge à son pays flamand: Les Tendresses premières (1904), La Guirlande des dunes (1907), Les Héros (1908), Les Villes à pignons (1910) et Les Plaines (1911). D’autre part, il continue sa poésie de l’amour matrimonial avec Les Heures d’après-midi (1905) et Les Heures du soir (1911). Comme critique d’art, il publie des études sur Rembrandt (1904) et Rubens (1910) – les deux génies de la peinture hollandaise et flamande – ainsi qu’une monographie sur James Ensor (1908). Mais Verhaeren a également l’ambition de se profiler comme auteur de théâtre : après Les Aubes (1898), il continue avec Le Cloître (1900), Philippe II (1901) et Hélène de Sparte (1912).
Ce sont les années de gloire de Verhaeren. Grâce aux éditions du Mercure de France, ses recueils connaîtront une diffusion européenne. On le traduit dans les langues européennes les plus importantes (l’anglais, le russe, l’allemand) et il fait des tournées littéraires à travers la Belgique, la France, la Hollande, l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse, La Pologne et la Russie. A ce moment, Verhaeren est sans conteste une célébrité littéraire. Ce sont aussi les années pendant lesquelles il fait la connaissance d’Auguste Rodin, d’Eugène Carrière, de Rainer Maria Rilke et surtout de Stefan Zweig. Celui-ci s’affirme comme le traducteur inlassable de son œuvre et devient un de ses défenseurs les plus importants dans le monde germanique. En outre, la maison royale belge s’intéresse également pour ce poète célèbre : à plusieurs reprises, Verhaeren se voit invité par le roi Albert Ier et par la reine Elisabeth. Ainsi, on le désigne de plus en plus comme le « poète national ». Avec le soutien des milieux académiques belges et du monde littéraire, Verhaeren est présenté pour le Prix Nobel de littérature.
La Première Guerre Mondiale opère une vraie cassure dans le développement littéraire de Verhaeren. Sa vision du monde, assez cosmopolite et humaniste, est complètement ruinée et son admiration de l’Allemagne se mue en haine. Dans les premiers jours de la guerre, le poète se range auprès de la figure du roi Albert et s’engage à défendre son pays avec sa plume. Pendant la guerre, Verhaeren se réfugie d’abord en Grande-Bretagne, puis, en mars 1915, revient en France. Par le biais d’articles et de poèmes, il attaque l’Allemagne d’une façon impitoyable. A deux reprises, le poète est invité par le roi à faire une visite du front de l’Yser. Les recueils les plus importants de ces années sont La Belgique sanglante (1915), une compilation de ses écrits de guerre, et Les Ailes rouges de la guerre (1916), un recueil de poésie de guerre. Verhaeren meurt le 27 novembre lors d’un accident de train dans la gare de Rouen. Le mythe veut que ces derniers mots ont été : Ma femme, ma patrie.
Les dépouilles de Verhaeren sont d’abord enterrées au cimetière d’Adinkerke. Fin 1917, pour des raisons de sécurité, elles ont été transférées au cimetière de Wulveringem. Ce n’est qu’en 1927 que Verhaeren a reçu son tombeau monumental aux bords de l’Escaut, à Sint-Amands.